[Concours B&B] O-Lasira

exposé sur l'origine du conflit Bonta/Brakmar

de doctoresse O Lasira,
tiré des "Récentes archives de l'Académie de Bonta"

Un sergent de Bonta se rendit au mess des officiers et demanda à voir son général. Quand se dernier sortit de la tente, le sergent salua puis tendit un obscur journal sur lequel un article traitait du problème qui retenait les deux armées de se jeter dessus. Le général se mit à lire :

Le collège des érudits de Bonta était réuni pour une série de conférences qui permettait à certains d'entre eux d'exposer l'état d'avancement de leurs recherches. Le maître en chaire termina son exposé soporifique et eu le droit à cinq secondes d'applaudissement polies. Le recteur de l'Académie s'avança et annonça :

- Maintenant nous accueillons la doctoresse O Lasira qui va nous exposer sa théorie sur l'origine du conflit entre Bonta et Brakmar.

Il s'effaça pour laisser la place à une petite femme couverte de bandages, habillée de noir et portant une coquille de dragoeuf en guise de couvre-chef. Cette apparition fut saluée par un concert de rires et de " c'est kro pinjuste " singeant Calo-Miro le petit tofu noir. O Lasira sortit d'on ne sait où un marteau presque plus grand qu'elle ce qui mis un terme brutal à tout ces lazzis.

- Bien, commença-t-elle, je vais vous exposer mes théories quant à l'origine du conflit Bonta Brakmar, sujet prêtant beaucoup à controverse. Si l'explication comme quoi les deux citées auraient été crées par les dieux d'Amakna pour cristalliser la lutte entre le Bien et le Mal, donne une dimension spirituelle à ce conflit, elle n'en n'est pas moins dénuée de vérité historique. De même, l'idée que Brakmar fut constituée par des renégats de Bonta qui auraient tenté de souiller l'idéal de notre belle cité n'est guère plus que de la propagande pour motiver les troupes...

A ce moment une voix scandalisée s'éleva du second rang pour interrompre la conférencière :

- Mensonges ! Tout le monde sait que...
- Silence, aboya la petite femme.
- Je ne suis pas venu écouter les élucubrations d'une prétendu savante, qui...
- J'AI-DIT-SI-LEN-CE, égrena-t-elle en ponctuant chaque syllabe d'un coup de marteau sur l'érudit qui avait eu l'infortune de l'interrompre.

Un silence terrifié s'abattit immédiatement sur la salle.

- Bien, reprit-elle, l'origine du conflit entre les deux citées est intrinsèquement liée à l'origine même de ces villes. D'après les documents que j'ai pu trouver, les deux villes seraient nées d'un désaccord artistique entre deux frères, Bontrius et Brakmar.

Les deux frères architectes avaient chacun leurs partisans et ils se mirent d'accord pour se prouver l'un l'autre leur talent en créant chacun sa ville idéale. Bontrius d'obédience plutôt classique choisit les plaines de Cania et créa ce qui est aujourd'hui le centre de la ville de Bonta. Brakmar, que l'on qualifiait de torturé, installa le c½ur de sa ville dans la lande Sidimote près des rivières de lave...

Cette fois se fut un ronflement grossier qui interrompit la petite femme. Elle fixa l'érudit endormi d'un ½il noir, les poings et les dents serrées en tremblant d'une rage difficilement contenue. Puis, soudainement elle se détendit, attrapa nonchalamment le manche de son marteau et le lança sur l'importun, interrompant définitivement la nuisance sonore. Elle inspira un grand coup puis repris son exposé :

- Aucun des frères ne parvint à convaincre l'autre de la beauté de son ½uvre mais les choses en restèrent plus ou moins à ce stade. Les partisans de chaque architecte s'installèrent au près de leur élu et ainsi naquirent les deux citées. Il y avait alors de fréquents échanges entre les deux villes. En effet, chaque cité épiait l'intelligentsia de l'autre ville et adoptait automatiquement un comportement différent, les modes se succédant dans une danse effrénée ayant pour but d'afficher les différences artistiques qui les séparaient. Toutefois, il s'agissait là d'une rivalité plutôt bon enfant, qui même si elle a pu accoucher de modes d'un goût des plus douteux, n'est pas à proprement parler à l'origine du conflit ouvert que nous connaissons de nos jours.

Une main se leva dans l'assistance. Suite à un hochement de tête approbateur de la conférencière, un jeune érudit visiblement affligé d'une terrible timidité se leva et émit une sorte de sifflement qui devait être une question. O Lasira lui demanda de répéter et de nouveau cette espèce de bouillie suraiguë franchit les lèvres du jeune homme. Au troisième essai, elle fit un petit geste et la diction précipitée et aigue devint lente, presque traînante et suffisamment grave pour sembler sortir du fond d'un tonneau :

- Mais quelle est l'origine du conflit alors ?
- J'y arrive. Les deux villes entretenaient donc une rivalité de plus en plus féroce mais ce qui mis le feu aux poudres, c'est l'affaire du mariage entre Gros Jéo et Muliette.
Muliette était une bontarienne divinement belle mais tellement stupide qu'il lui fallait bien dix minutes pour trouver quoi répondre quand on lui disait bonjour. Gros Jéo était, comme le voulaient les coutumes brakmariennes de l'époque, un vrai sauvage, grossier et toujours armé.
- C'est toujours le cas aujourd'hui, fit une voix parmi les derniers rangs.

O Lasira plissa les yeux et serra les dents mais parvint à retenir toute action de représailles. Elle poursuivi :

- Il est dit qu'ils s'aimaient mais il est plus vraisemblable que Gros Jéo convoitait plus Muliette et sa dot qu'il ne l'aimait vraiment et la fille devait regarder avec des yeux de flétan crevé quiconque lui disait qu'elle était jolie. Les parents de Muliette acceptèrent l'union dans l'espoir de conclure une alliance commerciale avec le fils du chef de Brakmar et ainsi gagner prestiges et honneurs tandis que le père de Gros Jéo accepta sous la menace de se faire découronné et décapiter dans le même geste par son fils. C'est à ce moment que cela commença à dégénérer.
Il y eu d'abord la question de savoir qui organiserait le mariage. Les deux cités se chamaillèrent pendant un mois avant que Bonta ne soit désignée, d'une part parce que les bontariens de l'époque ne vivaient que par et pour le protocole, une étiquette d'une complexité remarquable.
Si vous voulez un complément d'information à ce sujet il vous suffira de demander au docteur Moh'Drojam, c'est son domaine de prédilection.
D'autre part, les brakmariens d'alors étaient si radins qu'il eut été inconcevable pour eux d'engager des frais pour le mariage.
Le jour des noces, eut lieu un grand tournoi. La grande erreur des organisateurs fut de décréter que les combats ne se feraient pas au premier sang mais bien à mort ce qui n'aurait pas été très grave si cela ne s'était appliqué qu'aux concurrents. Malheureusement, les compétiteurs de cette époque n'avaient aucune considération pour le public qui essuya de plein fouet les attaques qui manquaient leur but. A la fin il fut décidé d'interrompre les combats avant que les invités de la noce ne soient décimés. Ceci vexa à la fois les brakmariens qui se régalaient de la vue du sang et les bontariens qui jugèrent l'interruption du tournoi comme un affront à l'étiquette.
La noce ne se présentait pas sous les meilleurs auspices.

A cet instant l'oratrice fit une pause, prit un verre d'eau posé sur le lutrin au milieu de l'estrade et en but une gorgée avant de poursuivre.

- Vint ensuite un problème lié à l'ego de Gros Jéo : il ne pouvait se présenter dans l'église avant Muliette car celle-ci deviendrait le centre de l'attention, pas plus qu'il ne pouvait entrer derrière elle car cela correspondrait à lui donner un rang inférieur. Finalement il fut convenu que les deux promis pénétreraient conjointement dans l'église ce qui ne contenta personne.
Au banquet qui suivit, récita-t-elle, un serviteur malheureux portant une soupière brûlante laissa son ombre se poser sur Gros Jéo qui étripa incontinent le pauvre homme. Comme de bien entendu la soupière se renversa sur la tête du prince de Bonta qui fut ébouillanté.
Les catastrophes se poursuivirent ainsi jusqu'au moment ou la mariée offrit le traditionnel Famin'curt, le plat des époux. Le Famin'curt était composé de céréales et de cawotes. Comme par un fait exprès, dit-elle en levant les yeux au ciel, fataliste, servir un mets sans le moindre morceau de viande était considéré comme une insulte à la virilité par les brakmariens. Gros Jéo éventra Muliette.
- Quelle horreur ! Quel barbare, fit une dame au premier rang.
- Je vous l'accorde, répondit la petite femme. Il faut bien comprendre, poursuivit-elle, qu'alors, malgré cet acte monstrueux, la guerre entre Brakmar et Bonta n'était pas encore inéluctable. Je vous passe les réactions scandalisées pour en venir directement au passage crucial. Le champion de Bonta, un certain Lancelevin du Fût, se leva et jeta son gant aux pieds de Gros Jéo et lui fit une déclaration.
J'en ai justement une copie sur moi, fit-elle en fouillant dans ses notes. Ha, voilà. Il faut savoir qu'à l'époque, les bontariens affectaient un langage ampoulé assez peu commode. Ecoutez plutôt :

'' Fi donc faquin. Tu osas de ta misérable lame qui jamais ne défit quelque valeureux sire en un équitable duel, éviscérer celle dont la beauté telle d'innombrables roses qui auraient simultanément déclos en un parterre aux mille fragrances et aux moult nuances, ravissait le c½ur des beaux et puissants damoiseaux qui'' patati, patata, je coupe parce que ça commence à me donner des boutons.

Sans doute enhardi par le fait que O Lasira n'avait pas réagit violemment lors des deux dernières interruptions et aussi peut être par l'absence de son marteau à ses cotés, un plaisantin crut bon de rajouter :

- Et c'est pour cacher tes boutons que tu portes tous ces bandages ?

L'oratrice claqua des doigts et un immense poing entouré de bandages réduisit l'impudent en purée.

- A un moment du discours lénifiant de sire Lancelevin, continua-t-elle comme si rien ne s'était produit, Gros Jéo s'endormit. Mal lui en prit : Lancelevin passa immédiatement des menaces à leur exécution et découpa Gros Jéo par le milieu. D'après les archives que j'ai découvertes, c'est à partir de là qu'ils se mirent plus ou moins à tous s'entretuer artistiquement. Pour finir seule une poignée de brakmariens rejoignirent leur ville, poursuivis par un corps expéditionnaire. S'ensuivit un nombre incalculable d'expéditions punitives d'un côté comme de l'autre tant et si bien que l'origine du conflit tomba dans l'oubli et que de nouvelles explications apparurent.
Tant de batailles ont eu lieu, tant de soldats sont morts pour ce conflit que de nos jours, l'origine du conflit n'importe plus et que brakmariens et bontariens se battent entre eux pour le seul motif qu'ils appartiennent à deux villes en guerre permanente.

La fin de l'exposé prit l'assistance de court mais celle-ci se rattrapa quand O Lasira récupéra son marteau et la conférencière sortit sous les applaudissements. Le journal précisait toutefois que le recteur de l'Académie insista poliment mais fermement pour que la doctoresse expose ses futures théories par écrit.

Le général, horrifié par ces explications qui pourraient lui coûter son job si elles venaient à trop se répandre, s'empressa de brûler le journal et prépara discrètement ses troupes pour un assaut brutal et soudain au son du nouvel hymne qui avait été approuvé dans la matinée

Hymne de Bonta

Milicien, à l'appel du cor
Rejoins le grand ost et accours
Dans la plaine, le corps à corps
Avec tes frères viens au secours
Viens défendre notre idéal
Viens bouter loin d'ici le mal
Pour Bonta, dans toute sa gloire !
A l'assaut, gagnons la victoire!

Milicien, le cor qui t'appelle
Par les plaines et par les landes
Effrayés par tes blanches ailes
Brakmariens implorants se rendent
Viens mener cet assaut final
Viens châtier ces suppôts du mal
Pour Bonta, dans toute ça gloire !
A l'assaut, gagnons la victoire !

Milicien, souffle dans le cor
Appelle à toi tes compagnons
Offre le rempart de ton corps
Afin de vaincre les démons
Viens ton nom est dans les annales
Viens fair' ton retour triomphal
Pour Bonta, dans toute sa gloire !
A l'assaut, gagnons la victoire !

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