[Concours B&B] Aleth

Bonta & Brakmar, une histoire.

TOME II, la paix foireuse

Dans le verre du prince Sumer, la bière luisait de reflets ambrés sous le soleil de Joullier. Autour du jeune monarque, saltimbanques, bateleurs et montreurs de kanigrous savants déployaient leurs tours, à l'amusement des milliers de personnes festoyant sur les gigantesques tablées dressées au milieu des plaines de Cania. Sumer perdit son regard parmi la foule de ses sujets radieux, goûtant la chaleur et la douce ivresse procurées par son breuvage. La récolte avait été particulièrement bonne en cette année 377, et la Fête de la Moisson tenait toutes les promesses des semailles de printemps. Sumer fut tiré de sa rêverie par le rire -rendu aigu par l'alcool- de son frère. Le prince Sulumor était plus massif et à la chevelure plus claire que le mince Sumer, dont tous louaient néanmoins la pondération et l'intelligence. Le père des deux jeunes hommes, assis à côté d'eux, laissa un sourire amusé éclairer son visage de pierre.

Depuis un an, le monarque vieillissant avait transmis l'administration des deux places fortes jumelles d'Amakna, Bonta et Brakmar, à ses fils. Le souverain coulait désormais des jours paisibles à Bonta, fief de Sulumor, mais rendait souvent visite à la lointaine Brakmar menée par Sumer, lors de ses parties de chasse au sud. Depuis leur édification des siècles auparavant, les cités avaient gardé les frontières occidentales d'Amakna. La seule vue des remparts vertigineux et inviolables de Bonta et de Brakmar sapaient l'espoir des envahisseurs, et garantissaient la sécurité de la contrée contre toute incursion de monstres. La bonté et la renommée du Roi avaient passé à Sumer et Sulumor, et l'année écoulée sous la férule des frères avait été marquée d'une prospérité jamais vue auparavant. Cette fête de la moisson grandiose en fut la juste apogée.

Mais ce jour, où les seigneurs des cités amies de Bonta et Brakmar ripaillèrent de concert, où Sumer et Sulumor s'assirent au côté de leur père, ce jour donc marqua le dernier feu de l'unité et de la paix d'Amakna. La fête de la Moisson de l'année 377 fut la dernière que connut le pays, et les frères ne furent plus jamais revus ensemble qu'à une seule occasion.

Vendetta

Car il advint, moins d'un mois après ce festin, que le roi mourut au cours d'une partie de chasse, sauvagement massacré avec sa suite. Les conditions n'en furent jamais parfaitement éclaircies, car nul ne réchappât de la tuerie, et les corps atrocement mutilés ne furent que de peu d'aide pour l'enquête.

Il est peu de dire que le décès provoqua l'émoi dans le royaume, mais la tristesse pesa peu face à la colère qui embrasa les esprits. On ne sait comment, mais à Bonta, puis à Brakmar, et dans tout Amakna, les coupables furent vite désignés par la rumeur populaire, qui avait gonflé comme un kyste ignoble. Les bworks, cette peuplade méprisée des montagnes, furent désignés coupables du carnage. Les gens grondèrent que l'on avait trop longtemps laissé vivre cette race de rats terrés dans leur montagne, et qu'il était temps de nettoyer les lieux. Aucune preuve n'étayait ces dires, mais dans sa douleur et sa peine, car des deux fils il était le plus proche du roi, Sulumor leva un bataillon de vendetta et appela son frère à le rejoindre. Sumer réprouvait cette vengeance aveugle mais, contraint par les liens du sang, il vînt avec des troupes.

Il n'y eût pas de pourparlers. Peut-être, d'ailleurs, les bworks étaient-ils réellement les responsables de l'assassinat du roi. A eux deux, les frères réduisirent le village bwork à un tas de cendres en moins d'une journée. Ce jour, les armées de Bonta et Brakmar se livrèrent à des actes qui laissèrent l'honneur des frères terni à jamais. Mais il advint que la cache des femmes et des enfants bworks, au fond d'une caverne grossièrement camouflée de peaux de sanglier, fut découverte alors que les armées humaines s'apprêtaient à se retirer. Sur les ordres de Sulumor, des fagots furent jetés dans la grotte et disposés en barrage à son entrée. Voyant cela, Sumer connut un grand émoi mais Sulumor le fit taire d'un geste.

" Nous allons purifier ces lieux par le feu.
- Hélas, mon frère ", répondit Sulumor, " tout le sang versé aujourd'hui n'a donc pas rassasié ta colère ?
- C'est la justice, et non la colère, qui guide mon bras, et ce peuple déshonoré d'assassins périra pour le bien de tout Amakna. "

Et comme Sumer était en proie au doute, Sulumor ajouta :

" Les femmes et ces enfants ont vu ce que nous avons fait à leurs guerriers aujourd'hui. Vivants, ils représenterontr un jourun grand danger. Ne sous-estime pas le pouvoir de la vengeance, Sumer. " Et disant cela il fit signe à Mautorz, son plus fidèle général, un militaire brillant mais à l'ambition démesurée. Les fagots.furent enflammés.

Sumer sembla tanguer un instant, puis ses yeux se rétrécirent et il parla d'une voix qui fit trembler ceux qui l'entendirent.

" Je vois bien la hargne de cette vengeance dont tu parles, et qui jette la honte sur notre famille. Et je ne serai pas témoin d'un tel crime ". Lui aussi leva le bras, et son conseiller Nizaram-le-Pourpre envoya une escouade de fécas de Brakmar munis de lances à un 110 éteindre les flammes.

Sumer resta coit, ses yeux plantés dans ceux de son frère, mais ceux qui le connaissaient sentirent le courroux qui courrait dans ses veines, et le général Mautorz fit rassembler les troupes Bontaises derrière leur prince. En face, Nizaram le Pourpre, une ombre d'inquiétude barrant son front, se résolut à faire de même, et pour la première fois les armées des deux villes jumelles se trouvèrent face à face. Là, au milieu d'un camp bwork calciné et parsemé de corps sans vie, nul ne dit rien pendant de longs instants. Enfin Sulumor tourna les talons et partit sans autre forme de procès, ses troupes derrière lui. Mais Sumer n'oublia jamais le regard de haine et, crût-il déceler, de joie mêlée, que Mautorz lui darda avant de rompre le rang. Les armées emmenèrent leurs morts mais laissèrent leurs ennemis pourrir sur place, à la vue de femmes et d'enfants bworks terrorisés, et dont nul ne parla plus avant longtemps.

La traîtrise de Mautorz

Amakna connut une année de tension sourde. Les deux villes n'avaient plus de contact, les amis d'antan s'évitaient et le commerce dépérissait. Les récoltes donnaient moins, la nourriture venait parfois à manquer dans les écuelles et le cœur manquait aux ménestrels qui avaient cessé de chanter dans les rues. A l'hiver 388, n'y tenant plus, ses yeux creusés par une tristesse qui ne le quittait plus, Sumer prit secrètement la route de Bonta avec quelques-uns de ses fidèles pour tenter, enfin, de se réconcilier avec son frère.

Voués à la discrétion, les voyageurs cheminèrent de nuit, seulement éclairés par des amulettes de mineur sombre à la clarté atténuée. Ils n'avaient croisé aucune patrouille sur leur route, et cela avait laissé Sumer et son conseiller Nizaram dans la plus grande circonspection. Et le prince de Brakmar sentit son malaise s'accentuer en découvrant, au sortir d'un sous-bois, les murs colossaux de Bonta presque invisibles sous les pâles étoiles du ciel : Tous les feux de la ville étaient éteints, n'était une unique torche vacillante tenue par un homme posté sur les remparts. Lorsque Sumer reconnut en cet homme le roué Mautorz, tous les sens du prince se mirent en alerte. Il ouvrit la bouche pour ordonner à sa suite de faire halte mais le son fut écrasé par le choc qu'il reçut au bas-ventre.

Il recula d'un pas. A travers le voile qui venait de tomber sur ses yeux, il distingua des formes qui se jetaient sur ses amis et les perçaient de leurs épées. Les cliquetis des armes et les hurlements de ses amis lui parvenaient assourdies. Des bois alentours se déversaient des dizaines de bworks jeunes et robustes. Mais le prince ne pouvait bouger. Il baissa lentement la tête et vit l'empennage de flèche qui saillait de son ventre. Le trait lui avait perforé l'estomac, et le sang se répandait dans son corps comme une pourriture écarlate. Sumer sut sa fin venue, et il leva une dernière fois les yeux vers Mautorz, qui n'avait pas esquissé le moindre geste et observait le bain de sang avec attention. Alors Sumer, croyant son frère responsable de cette traîtrise, maudit Sulumor et le voua à une peine et à une souffrance éternelles. Puis un bwork leva un cimeterre au dessus de la tête du prince et ce fut tout.

Sumer était mort de la main même de ceux qu'il avait épargnés. Car les enfants bworks, comme Sulumor l'avait prédit, avaient grandi dans la haine de tous les humains, et avaient gagné en puissance et en rage sous les ordres de Dranac-le-hérissé. Le jeune chef n'avait pas hésité quand il avait appris qu'un important seigneur passait à proximité de leur cachette. L'embuscade avait été d'autant plus aisée que, à la surprise de Dranac, les troupes de Bonta avaient déserté tous leurs postes de garde. Jamais le Hérissé n'imagina avoir été utilisé par un général Bontais cherchant pour le débarasser d'un obstacle gênant.

Cependant cinq survivants, dont le plus proche conseiller de Sumer, Nizaram le-Pourpre, avaient réchappé à la tuerie et rallié Brakmar. Leur récit de la trahison de Bonta chauffa le sang de tout un peuple et les épées furent tirées de leur fourreau aux quatre coins de la ville. Il y a près de 260 ans, une armée de plus de 2000 brakmaris se porta contre les murs de Bonta, et au devant de leurs rangs marchaient Nizaram et tous les grands et puissants seigneurs de Brakmar, soulevant de leur marche furieuse une poussière telle qu'Amakna n'en avait jamais connue.

Le crépuscule et la haine

Sulumor eût-il consenti à parlementer et à sauver l'amitié des deux cités pour éviter le bain de sang qui s'annonçait? On ne le sût jamais. Il est dit qu'au moment où Sumer, percé de la lame ébréchée de Dranac-le-Hérissé, le vouait à une malédiction éternelle, son frère était pris d'une fièvre mortelle. Sulumor n'avait jamais été au courant de la venue de Sumer, ni de la traîtrise de Mautorz. Il ne fut plus jamais vu de ses sujets après celà. Mort ou fou, son destin n'est pas connu. Le peuple fut maintenu dans le mensonge du gouvernement de Sulumor, mais les courtisans les mieux informés savaient que le général Mautorz était désormais le véritable maître de Bonta. Quand les cohortes de Brakmar vinrent, ce fut donc lui qui les reçut du haut des fortifications. Le ton de Mautorz était méprisant, et sa récente et secrète accession au pouvoir avait fait voler en éclat sa courtoisie de façade.

" Le Seigneur Sulumor, seul héritier du Roi et maître des villes de Bonta et de Brakmar, me demande de vous mettre en garde. " clama-t-il entre les crénelures de ses remparts. " Si demain à l'aube, vos armes ne sont pas rengainées et une délégation désignée pour jurer allégeance à Bonta, vous serez traités en ennemis. "

Ces mots arrogants dissipèrent les derniers doutes des brakmaris, et leur volonté ne connut plus d'entraves. Le lendemain, ils n'avaient pas bougé d'un pouce. Ni le surlendemain, ni le jour suivant, ni le suivant encore. Devant la pierre inattaquable de Bonta, les assaillants gardaient leurs positions, chassant leur pitance dans les plaines alentours, qui pullulaient désormais de bolets, kanigrous et milimulous. Au 101e jour de siège, quand les réserves de nourriture vinrent à manquer dans la ville assiégée et qu'il fût certain que les forces de l'ennemi ne se délitaient pas, Mautorz fit ouvrir les portes s'ouvrirent enfin.

A l'aube du 6 novamaire 378, avant que le disque lumineux ne s'extirpe de l'horizon, des milliers de Bontais, 3000, 4000 peut-être, déferlèrent sur les rangs adverses. Les amis d'autrefois croisèrent le fer, les parents s'entretuèrent, et ceux dont la conscience retenaient le bras furent frappés dans le dos par d'autres, moins scrupuleux. Bonta était supérieur en nombre mais Mautorz avait négligé l'ire de ses assaillants et la fatigue de ses propres hommes après trois mois de privations. Les adversaires s'anéantirent l'un l'autre. Après une demi-journée de mêlée, le peu qui subsistait de l'armée de Brakmar se débanda, mais les rares défenseurs bontais encore debout n'eurent pas les moyens de pousser leur avantage et rentrèrent dans leurs murs, plus morts que vifs. Sur la plaine puant le sang et la charogne, l'amitié d'antan avait rendu son dernier souffle, ensevelie sous les cadavres d'une bataille sans vainqueur.

Nizaram et les seigneurs de Brakmar gisaient occis dans l'herbe souillée autour de Bonta, et la ville du sud fut décapitée de tous ses chefs en cette seule funeste journée. Privée pendant des années de toute autorité, elle se livra peu à peu, comme une maîtresse consentante, à l'anarchie. Les pavés immaculés se couvrirent d'immondices, la crasse dévora les bâtiments, le mépris de l'ordre germa dans tous les coeurs. Même après qu'un semblant d'organisation et de milice fût revenu à Brakmar, jamais les habitants ne se départirent de ce besoin de liberté, dut-il les contraindre aux actes les plus vils. A Bonta aussi, la bataille mit un terme à l'abondance. Si, sous la main d'airain de Mautorz, l'ordre public fut maintenu au prix d'un abandon progressif des libertés individuelles, la munificence devint un souvenir cultivé avec hypocrisie. Les rues autrefois joyeuses, vidées par les milliers de morts de la bataille, ne retrouvèrent jamais leur animation insouciante d'antan. Mautorz, englouti par sa propre mégalomanie, déclara Brakmar Ennemi Eternel de Bonta, et érigea sa propre cité en gardienne du bien et de la justice en Amakna.

C'était il y a bien longtemps. Le récit de la grande fête des moissons de 377, la dernière qui vit les princes de Bonta et Brakmar rire côte à côte, est presque oublié. Ne reste plus, en Amakna, qu'une haine farouche aux racines obscures entre les habitants de cités qui, en des temps reculés, s'aimèrent comme des jumelles issues d'un même sang.

La Bontaise

Champions de la justice,
Pourfendeurs du vice,
Voyez dressée à Cania
L'immaculée Bonta.

Âmes de bien, le poing serrez !
Lorsque du sud le mal paraît,
Mort aux fourbes, peste des couards,
Unis face aux hordes de Brakmar !

Guerriers du Cœur Vaillant,
¼il attentif omniscient,
Et Esprit Salvateur,
Brûle, feu purificateur !

Quand le doute saisit les cœurs,
Que les âmes cèdent à la peur,
Par l'épée, par les poignards,
Unis face aux faquins de Brakmar !

Pour que l'ordre règne toujours,
Coule le sang devant nos tours,
Découpons leurs âmes noires,
Unis face aux démons de Brakmar !

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